L'interview de

Jean-Claude Mézières

Jean-Claude Mézières à sa table à dessin

pour

par Kalkaf

Paris, le 02/05/2005

Derrière une porte cochère insignifiante, au fond d'une courette claire, apaisante et pleine de charme, c'est là que se tient l'atelier de Jean-Claude Mézières.

L'accueil est des plus chaleureux, à tel point que l'on se surprend à penser que, finalement, ce cher Jean-Claude est un ami de toujours, qu'il nous a connu en culotte courte lorsque nous lisions Valérian avec délectation pour la première fois. L'impression étrange de faire partie des meubles et du décor nous envahit alors même que la rencontre n'a pas 10 minutes !

Pourtant, sa vision de la mise en volume des personnages de BD, que ce soit les siens ou ceux des autres auteurs, est très critique. Exigeant envers les autres comme envers lui-même, il ne parvient pas à se satisfaire d'un travail finalisé mais moyennement abouti... et trouve finalement plus d'enrichissement personnel au travers des émotions que lui procurent les relations humaines qu'il entretient, même furtivement, avec ses fans que dans des objets inanimés et parfois assez kitsch !

Kalkaf pour Quel regard portes-tu sur le statuaire BD ?

Différentes créations (amateurs et Attakus) autour des personnages de Valérian

Valérian et Laureline par St Emett

Jean-Claude Mézières - C'est un marché qui s'est développé récemment sans qu'au départ, les auteurs y soient réellement pour quelque chose. Mais j'ai aussi l'impression que certains auteurs y sont particulièrement favorables et d'autres se contrefichent un peu de voir leurs personnages ainsi mis en volume.

Moi, personnellement, je n'y suis pas très attaché ! Il y a longtemps, j’ai reçu des statuettes en cadeau avant d’en avoir dans le commerce. Elles étaient faites par des amateurs et et parfois assez remarquables. Je me souviens plus particulièrement d'un joli Glapumt'ien qui m'a été offert par un jeune fan qui avait 18-20 ans à l'époque. Il était parti des dessins de l'Atlas "Les habitants du ciel". Je l'ai toujours sur une étagère où il prend un peu la poussière d'ailleurs...

Et il y a eu Saint Emett qui a fait mes deux premiers Valérian et Laureline. Mes exemplaires, dans les boîtes là derrière (montrant du doigt quelques cartons empilés sous une table à dessin) repartent dans une exposition d'originaux. Je les montre sous vitrines fermées, parmi le fatras des photos-souvenirs, documents ,et éditions étrangères de Valérian, ... Franchement ils ne sont pas mal ! Ce n'est pas parfait, mais j'ai rarement vu des statuettes parfaites. Par contre, commercialement, ça s'est complètement cassé la gueule ! Problèmes avec la distribution.

Puis, il y a eu le projet d'Attakus, les deux héros avec en plus les trois Shingouz, le Goumoun et le Schniarfeur... Ça se passe bien ! A ce que je sais, il n'y a plus de Laureline. Ce qui est normal ! Pour les autres personnages, je ne sais pas si les 888 exemplaires sont écoulés ou pas ! Donc c'est sans doute bien que ces personnages existent puisqu’ils se vendent !

Mais personnellement, je n'ai pas une opinion formidable sur ce genre de choses. Surtout que les statuettes évoquent pour moi plus les objets que l'on trouve dans les salons bourgeois, comme les figurines de Saxe. C'est parfois d'un terrible "goût de chiotte" ! Surtout les supers héros américains en statuette, je trouve cela épouvantable !

Je n'ai pas de passion pour les objets en 3D en général. J'ai une collection remarquable de prix en tous genres que j'ai reçu tout au long de ma carrière. Ils sont à la cave tellement ils sont gros, lourds et laids.

Valérian, les Shingouz, le Goumoun et le Schniarfeur d'Attakus

Kalkaf pour Lorsque je t'ai eu au téléphone la première fois, je t'ai senti déçu par la mise en 3D de tes personnages. Peux-tu m'en dire plus à ce sujet ?

Jean-Claude Mézières - La mise en volume d'un dessin est presque un pari stupide. Il est extrêmement difficile de restituer en volume un personnage qui n'existe que par des traits de pinceau . Les personnages avec un trait rond, genre Disney ou Uderzo, rendent en général mieux que d’autres plus réalistes où le coup de pinceau du cerné exprime beaucoup et où on risque de tomber très vite dans le style statuette de Napoléon !

Les statuettes de Loisel sont en général pas mal ! Mais, pas le buste du barbu (Bragon) ! Je n'aime pas le traitement de sa barbe. Par contre, la fée clochette est très bien, toute en rondeur. C'est tout mignon avec l'encrier.

Le Blueberry dans sa chaise est plutôt bien, à part que la tête trop petite ne va pas avec le corps !

Travailler sur 15 cm n'est pas évident et le pari est très difficile à tenir ! On voit parfois des trucs à la limite du parfait mauvais goût qui rappellent les souvenirs ramenés de Lourdes ou d'Italie. Ça donne envie de foutre un coup de bazooka dans la vitrine !

Lucky Luke est souvent réussi car c'est un personnage en rond qui passe bien. Mais le chapeau qui vole tenu par un fil de fer, bof ! Ce n'est pas facile de faire quelque chose de totalement réussi !

Je ne devrais pas critiquer car je ne fais que jeter un coup d’œil rapide dans les vitrines des boutiques, c'est tout.

Un élément de décor du 5° Element (Studios Pinewood)	Sculpture hommage du monde de Jean-Claude Mézières par un fan italien

Kalkaf pour Mais sur tes personnages, qu'est-ce que tu trouves de raté ?

Jean-Claude Mézières - Dans l'ensemble j'ai bien aimé les personnages, mais il y a des petites erreurs. C'est peut-être lié aux croquis préparatoires. Je trouve que Valérian n'est pas très bien placé (problème avec les jambes) mais c'est sans doute de ma faute. Pourtant j'ai bien échangé avec Attakus. Ils sont très à l'écoute et plein de qualités. Et quand je vois certains dessins de Valérian, je ne les trouve pas très réussis non plus ! (ha ! ha ! ha !)

Et puis cela tient aussi à la gueule de certains personnages dont le graphisme est réaliste. Voir une statuette de personnage en imperméable ou en blouson, cela fait mannequin de vitrine des grands magasins en réduction.

Par contre, quand on voit le Horus de Bilal ou le masque Daum de Druillet, on est face à un vrai objet ! Il y a un côté plus noble qui fait que la pièce est réussie. Les masques de Druillet se prêtaient bien à cette mise en valeur ! Mais certains personnages ne s'y prêtent pas !

Kalkaf pour Tes personnages se prêtent-ils à cette mise en 3D ?
Jean-Claude Mézières - J'en suis moyennement convaincu ! Ce n'est pas moi qui ait frappé à la porte d'Attakus et consorts. Mon égo ne me pousse pas à dire que je veux mes personnages en statues.

Kalkaf pour Comment ont été choisis les visuels pour la mise en 3D de tes personnages ?

Jean-Claude Mézières - J'ai fait des croquis préparatoires. Un peu en tournant autour du personnage comme pour un dessin animé. Si je ne suis que moyennement satisfait du résultat, moyennement supérieur quand même, c'est peut-être parce que je n'ai pas prêté assez d'énergie à cette étape. J'ai consacré plus d'énergie à corriger en disant "Ça, ça ne plait pas !" ou "Ça, ça ne va pas !". Ceci explique donc cela.

Il a souvent été évoqué que Georges Lucas s'est inspiré de Valérian. Alors, j'ai été très amusé de voir qu'Attakus a proposé pour la Princesse Léia la même position et le même costume que ma Laureline du Pays sans Etoile... Comme dans le film !

Laureline par Attakus

Princesse Léia par Attakus

Les Arches de Lille Dessin du projet Réalisation finale	Kalkaf pour Pourquoi avoir choisi ces extra-terrestres (les Shingouz, le Goumoun et le Schniarfeur) parmi tout ceux qui fourmillent dans Valérian ?
	Jean-Claude Mézières - Ce sont les vedettes. C'est logique ! Un Glapum'Tien pourrait être très bien, mais dans le monde du merchandising, les personnages extra-terrestres sont moins recherchés. Le Schniarfeur est très réussi. Il est en fait plus "cartoon" et se traduit donc plus facilement en volume. Sa forme est plus simple et fonctionne bien. Pour les Shingouz, Attakus n'a pas su trouver une position des mains plus spontanée ou bien je n'ai pas assez retravaillé avec eux. C'est dur les Shingouz !
	Kalkaf pour Au-delà de ça, comment s'est passée la relation avec les sculpteurs, les fabricants ?
	Jean-Claude Mézières - Très bien parce que j'aime bien me frotter à des expériences qui me sortent de la page BD. Il y a eu le film avec Besson et les décors en studio à Londres, les arches de Lille grandeur nature. J'aime dialoguer avec les gens de la construction. Parfois on me dit que ça va pas aller,qu'on ne peut pas techniquement construire ça, alors on cherche d'autres solutions pour, au final, y arriver quand même ! J'aime pouvoir franchir la frontière de mes dessins vers un autre médium ; le fait que cela ressemble à mes dessins, mais transposé. Pour Lille 2004, entre le premier dessin et la réalisation finale, il y a eu plein de changements mais en même temps une formidable unité et la ressemblance avec le projet initial est forte. Or, sur une statuette BD, on ne peut rien sacrifier. On doit coller complètement au dessin. Finalement, c'est beaucoup plus restrictif.

Kalkaf pour Certains véhicules du "Cinquième élément" de Besson, que tu avais créés graphiquement ont aussi été commercialisés. Que penses-tu de ces réalisations 3D ?

Jean-Claude Mézières - Oui, il y a eu le Taxi et le véhicule de Police. Mais cela s'est fait sans moi. C'est Gaumont qui a tout géré. Ils se sont appuyés sur les maquettes réalisées pour le film. Ils ont pris pour modèle le film, et pas vraiment mes dessins. Au final, ces objets sont très fidèles, mais je les trouve un peu tristounets. Je les aurais bien vus avec des impacts de balles, des vitres cassées, des pare-chocs tordus, bref ce que j'avais mis dans mes dessins !

Dessins préparatoires de Jean-Claude Mézières pour le film "Le Cinquième Elément" de Luc Besson	Véhicules du "Cinquième Elément" © Gaumont, Attakus

Kalkaf pour Y a-t-il certaines mises en volume de tes dessins que tu regrettes ?
Jean-Claude Mézières - Non. Je ne me pose pas la question ! On devrait peut-être tout recommencer, mais l'enjeu est trop faible commercialement. Le jour où on fera un grand film de Valérian, j'y consacrerai plus d'énergie mais en attendant,c'est bien comme ça...

Kalkaf pour Aimerais-tu voir certains de tes personnages, notamment certains extra-terrestres passer en 3D ?

Jean-Claude Mézières - Je n'y ai jamais réfléchi. Et puis il y a plus de 250 extra-terrestres dans "Les Habitants du Ciel" ! On pourrait avoir Monsieur Albert ou le petit Califon, si l'on veut. Mais, ce n'est pas moi qui vais sonner chez Attakus pour cela. Et puis, je ne suis pas sûr que Monsieur Albert soit si emballant que cela dans son imperméable et son écharpe ! En fait ça ne me préoccuppe pas !

...

Kalkaf pour Y a-t-il des projets en cours ?

Jean-Claude Mézières - Au niveau statuette, rien pour l'instant. Il faudra attendre un peu... Pour le reste, je ne préfère ne pas en parler pour l'instant.

Entre le travail d'un amateur qui m'offre sa statuette sur un festival et celui d'un sculpteur professionnel il y a une grande différence, le geste est touchant ! Voir toute l'énergie de quelqu'un qui a dévoué autant d'heures à sa réalisation… Parfois c'est réussi, d'autre fois beaucoup moins, mais c'est le geste qui compte. Au Canada, un gars a réalisé une trentaine de statuettes issues de tous les albums de Valérian. Il en a fait une exposition et m'a donné les photos. Ce n'est pas parfait au niveau fabrication. Mais voir toutes ces statuettes peintes, c'est vraiment touchant !

Je me souviens aussi d'une statuette d'un des personnages centaures, un Kamunik, tiré de "L'Ambassadeur des ombres" offerte dans une autre expo. On l’installe sur une étagère et le cadre qui était accroché au-dessus est tombé écrasant en mille pièce l'exemplaire unique. J'étais terriblement désolé pour le gars qui avait sculpté cette pièce !

...

Mais pour moi il y a une chose de plus important que la réalisation d'une statuette réussie, c'est quand je rencontre des parents qui ont prénommé leur fille "Laureline" ou leur gamin "Valérian"... Ça! L'autre jour, une jeune femme dans la rue m'a dit "Je vous remercie pour le prénom que je porte". Ce genre d'anecdote me fait complètement craquer. Voir des gens avec un prénom qu'ils aiment et y avoir un peu contribué, c'est un énorme privilège !

La dédicace de Jean-Claude Mézières pour